INTERVIEW : Julien Dugourd, chef pâtissier de La Chèvre d'Or** à Èze

news-main-interview-julien-dugourd-chef-patissier-de-la-chevre-dor-a-eze.1554717805.jpg
© Julien Dugourd

Chef pâtissier, de l’adresse mythique La Chèvre d’Or, on ne présente plus Julien Dugourd au sein du très sélectif milieu du bon et du beau ; le guide Michelin l'a d'ailleurs récemment mis à l'honneur dans sa nouvelle promotion "Passion Dessert". Instantanés des vergers et maquis environnants, ode au fameux Citron de Menton - son dessert devenu incontournable - c’est finalement avec une infinie poésie que le très combatif chef sculpte les matières premières de ce pays de Cocagne. Un vrai parcours de comète formé auprès des plus grands noms français de la cuisine et de la pâtisserie, Julien Dugourd ne semble s’être posé dans ce somptueux environnement que pour léguer la sagesse reçue par ses arts car, oui, homme de passions, il se nourrit un maximum de l’extérieur, notamment de la compétition sportive, et fait ainsi bouger les lignes de son métier. Vendom.jobs a pu s’entretenir avec lui le temps de mettre l’accent plus que sur un talent, un passeur !

Vendom.jobs - Parlez-nous de vos débuts dans le monde de la cuisine ?

Julien Dugourd - J’ai voulu faire ce métier depuis très jeune, aussi j’ai commencé par un CAP cuisine en école hôtelière. Très vite, j’ai débuté les concours, comme celui de meilleur apprenti d’Alsace dont je suis sorti premier à Gérardmer. J’ai alors été envoyé au concours des meilleurs apprentis de France cuisine. Mon chef m’avait cependant conseillé de compléter mon cursus par un examen de pâtisserie ; pour lui un bon cuisinier devrait posséder les bases de la pâtisserie. J’ai donc fait une mention complémentaire pâtissier-chocolatier-glacier-confiseur. Je suis allé ensuite en apprentissage à l’Hostellerie des Bas-Rupts. Après 3 ans dans l’entreprise, je fus envoyé chez Marc Veyrat à l’Auberge de l’Éridan à Annecy. Ce fut une année très éprouvante, nous avions trois étoiles, obtenu 20/20 au Gault & Millau, Marc Veyrat venait d’être élu meilleur chef du monde !

V. J.- Comment et pourquoi avez-vous choisi la pâtisserie ?

J. D. – J’ai fait une saison à La Ferme de mon Père à Megève. Marc Veyrat m’a demandé alors de passer en pâtisserie. Je n’ai jamais arrêté depuis... J’ai ensuite intégré l’équipe de Jean-Georges Klein à l'Arnsbourg. Je rêvais, à l’époque, de travailler pour Alain Ducasse, j’ai envoyé une candidature spontanée à l’Hôtel de Paris à Monaco… et j’y suis resté 4 ans ! Alain Ducasse m’a alors proposé un poste de sous-chef au Louis XV. J’avais commencé à passer des concours, notamment le championnat d’Europe de sucre artistique. Je rêvais de faire la coupe du monde de pâtisserie. Pendant le championnat d’Europe, je suis allé m’entraîner chez Anne-Sophie Pic à Valence où Philippe Rigollot m’a formé.  Sans doute par son biais, Christophe Michalak m’a contacté pour travailler avec lui au Plaza Athénée où je suis resté 2 ans. À cette époque, j’ai été sélectionné pour la coupe du monde. Enfin, je suis arrivé en 2010 à La Chèvre d’Or en tant que chef pâtissier.

La tarte aux pommes

V. J.- Quelles ont été vos rencontres marquantes dans le monde de la cuisine, ou ailleurs ?

J. D. – Déjà tous les chefs que je viens de citer !  J’ai eu le privilège de travailler avec beaucoup de grands chefs qui m’ont fait évoluer. J’ai connu aussi de fabuleuses rencontres en dehors du monde de la cuisine. Je pense particulièrement à la collaboration que j’ai eu la chance de pouvoir lancer avec le palais du Prince Albert via Christian Garcia, son chef de cuisine.  À l’époque où j’étais à Monaco, je faisais parfois des interventions pour le Prince. Il s’agit donc d’une collaboration qui s’est poursuivie en fait [Club des Chefs des Chefs]. L’an passé, nous sommes ainsi partis, Christian et moi, à l’hôtel Galaxy de Macao au nom du Prince pour y réaliser des démonstrations de repas de gala. Cette année, pour le G20 de la gastronomie. Le Prince Albert est donc vraiment une rencontre marquante, exceptionnelle. Travailler pour un chef d’état est une chance hors norme !

Le Club des Chefs de Chefs lors du G20 de la gastronomie à Marrackech 

V. J.- Pensez-vous que la médiatisation de la cuisine peut avoir un impact sur l’opinion publique tant en ce qui concerne les problématiques actuelles de durabilité qu’au regard de son évolution ?

J. D. – Bien sûr, nous nous devons d’être très vigilants concernant les produits que nous travaillons, leur saisonnalité, leur provenance. Mais, pour être honnête, cette prise de conscience est bien tardive. J’ai décidé d’agir aussi personnellement en dehors de ma profession. Par exemple, en tant que sportif, quand je pars courir je m’équipe pour ramasser les déchets que je pourrais trouver sur mon parcours. Ce sont de petites actions mais j’y fais attention. J’essaie de faire des choses utiles et responsables. On ne peut plus reculer face à la nécessité de ces actions au quotidien [anti-gaspillage, agriculture et consommation raisonnées, etc.], nous en sommes tous conscients. En tant que chefs, nous devons aussi nous responsabiliser.  C’est ce que j’essaie d’inculquer à mon équipe. Il faut transmettre aux jeunes générations ces valeurs fondamentales.

Pommes, figues

Ensuite, concernant, la compréhension de la gastronomie par le public. La pâtisserie, comme la cuisine, fonctionne par phénomène de mode. La tendance serait d’ailleurs actuellement au « désucré ». Le problème est que, lorsqu’une tendance apparaît, tout le monde s’y engouffre. Je pense que Paul Bocuse avait raison en disant que quoique nous fassions, nous revenons toujours à un moment aux fondamentaux. C’est très vrai en pâtisserie en ce moment, on revient à la pâtisserie classique qui propose, à nouveau, de plus en plus de mille-feuilles, de paris-brest, de saint-honoré… Sans doute jusqu’à la prochaine tendance, tout est cyclique.

Fraises, pistaches

V. J.- Une saveur évocatrice pour vous, d’une inspiration ou d’une nostalgie ?

J. D. – J’ai toujours aimé le citron, je mangeais toujours de la glace au citron quand j’étais enfant. Je n’aime pas créer une d’histoire autour de cela, cela ne m’intéresse pas, je préfère m’inspirer du présent. Par exemple, aujourd’hui à Èze, par ce jour de grand soleil, j’aurais envie de manger un sorbet avec des fruits de saison. La région où nous sommes joue beaucoup. Ici, nous n’allons pas proposer les mêmes desserts qu’à Paris ! Nous avons la chance d’avoir des fruits rouges, des agrumes, le Citron de Menton, …

V. J. - Pensez-vous à de nouvelles idées, des envies, de nouveaux territoires à explorer ?

J. D. – J’aime les fondamentaux, je travaille beaucoup autour du fruit. Je suis sportif, je fais attention à mon alimentation donc j’apprécie les fruits. J’ai d’ailleurs travaillé récemment sur un vacherin aux fleurs de lotus. J’apprécie de toujours trouver le côté glacé accompagné de fruits. Ce que j’ai souvent en tête, ce qui me fait toujours envie, est une assiette de fruits rouges avec sorbet mascarpone. Pour moi c’est le meilleur dessert du monde ! Mon équipe m’en prépare souvent car ils me connaissent bien.

Vacherin fleur de lotus

V. J. - On vous décrit souvent comme un homme de passions. Quelle est leur répercussion dans votre métier ?

J. D. – Je vais être franc, mon histoire est particulière. J’ai eu une grave opération étant enfant, j’ai donc eu une enfance hors norme. À l’hôpital, on m’appelait « le miraculé ». Je suis donc conscient que tous les moments que je vis sont du bonus. J’essaie d’être toujours heureux, comblé par ce que je fais. On m’a toujours dit très combatif – d’où mes tatouages maori – mais par contre, je n’étais pas autorisé à faire du sport. Je n’ai évidemment pas suivi ce conseil et me suis passionné pour les arts martiaux. Je sens que j’y évolue plus, en tant que personne, que dans mon cadre professionnel car c’est un milieu plus ouvert, qui inculque une forte notion de respect. Nous n’y sommes pas forcément récompensés pour nos capacités techniques mais pour la personne que l’on est, humainement, aussi bien sur le tatami qu’en dehors du dojo. Ces valeurs me touchent énormément, c’est tellement juste ! J’essaie de transmettre à mon équipe.

Le partage d'une passion mais aussi d'une confiance et d'amitiés très fortes, ici avec Florent Bigot, chef adjoint.

Il devrait en être de même en cuisine ! Vous pouvez être le meilleur pâtissier du monde, si vous n’avez pas de respect pour les gens qui vous entourent, pour qui vous travaillez, vous n’irez pas loin. Aussi, j’essaie d’être très présent pour mon équipe, de partager au maximum ce que j’ai le privilège de vivre, comme mes rencontres, pour tirer tout le monde vers le haut. Je m’inspire beaucoup de la façon dont les coaches transmettent leur passion, leur technique. C’est pour cette raison également que j’essaie de diffuser largement sur les réseaux sociaux les moments que je partage avec mon équipe. Par exemple, nous avons fait une tournée des grands restaurants parisiens. J’ai emmené mes collaborateurs à la rencontre des mes amis et grands chefs : au Ritz, au Meurice, au Plaza, chez Christophe Michalak, à La Pâtisserie Cyril Lignac… Nous souhaitions remercier ainsi nos jeunes collaborateurs pour leur travail, ce qu’ils font, eux aussi, pour l’entreprise.

Riz au lait et amande

J’ai également vraiment à cœur de soulever un problème qui pourrait annoncer des heures sombres pour notre métier. Je trouve inconcevable que l’on demande des sommes astronomiques pour former les jeunes générations. Il convient de rétablir la valeur des choses et des actes, nous ne sauvons pas des vies ! Nous ne pouvons décemment pas demander pour une formation de deux jours l’équivalent de ce que gagne en un mois une infirmière ! Je crois que les valeurs que vous inculquez en formation seront ensuite réappliquées. Donc, nous devons montrer l’exemple. L’éducation ne doit pas être un privilège ! J’interviens en CFA, je sais que beaucoup refuserait de le faire, hélas. Finalement, tout se rejoint, tout est une question d’équilibre et de respect, dans chaque système. Nous ne pouvons prétendre œuvrer pour sauver la planète ou quoique ce soit si nous ne veillons pas à transmettre ces valeurs fondamentales aux plus jeunes. 

Tarte éclair poire

Chocolat, noisette

Pour découvrir les sublimes créations de Julien Dugourd... en photo ! 

www.instagram.com/julien.dugourd

La Chèvre d'or

Rue du Barri

06360 Èze - FRANCE
 
0033 4 92 10 66 66

www.chevredor.com

On the same subject