Depuis 2002, il dirige le Royal-Riviera, avec la conviction qu’un hôtel n’est pas seulement un lieu, mais une expérience humaine façonnée par les femmes et les hommes qui l’animent. Sous sa direction, l’établissement a connu une transformation remarquable, porté par la fidélité rare de ses équipes et par un style de management où la bienveillance n’exclut jamais l’exigence.
Dans cette interview, Bruno nous partage son histoire, ses inspirations et la vision d’un hôtel qui reflète l’art de recevoir dans toute sa noblesse.
Bruno, vous avez consacré votre vie à l’hôtellerie de luxe. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce métier à l’origine, et qu’est-ce qui vous fait toujours vibrer aujourd’hui ?
Un soir, je devais avoir une douzaine d’années, mon père m’a emmené dîner chez un de ses amis qui avait un restaurant à Paris.
Dans la conversation le type me dit : l’hôtellerie et la restauration c’est comme le théâtre, mais tous les jours tu changes la pièce et tu changes les acteurs. C’est cette phrase, cette rencontre, qui m’ont fait choisir ce métier.
On l’apprend souvent avec l’âge, mais il suffit de quelques mots, d’une rencontre pour changer ta vie.
Depuis juillet 2002, vous êtes Directeur Général de l’Hôtel Royal Riviera. Qu’est- ce qui vous a convaincu à l’époque de rejoindre cet établissement, et qu’est-ce qui vous motive à y rester plus de 20 ans plus tard ?
En 2002, le management du Royal-Riviera avait été confié à Grace Leo, véritable visionnaire de l’hôtellerie contemporaine et importatrice du concept du boutique-hôtel en Europe, notamment avec la transformation du Montalembert. Et puis le Royal- Riviera, c’était un peu le parent pauvre en termes d’activité et d’image parmi les hôtels 5 étoiles de la Côte d’Azur, un véritable challenge.
Avec l’équipe, pour beaucoup fidèles depuis 10, 15 ou 20 ans ce qui est assez rare pour le signaler, nous en avons fait un des hôtels les plus respectés de la Riviera.
L’hôtel appartient depuis cette date à Westmont Hospitality, et c’est la relation de confiance avec les propriétaires, leur confiance et les moyens qu’ils ont donnés pour porter cet hôtel vers le haut, notre respect mutuel aussi, qui fait que je suis encore là et avec autant de plaisir.
Comment décririez-vous votre style de management avec vos équipes ? Vous sentez-vous plutôt mentor, inspirateur ou stratège… ou un peu des trois à la fois ?
Si je ne devais retenir qu’un mot, c’est la bienveillance. Porter les valeurs de notre profession, faite de standards, d’exigence et d’humanité, mais toujours avec bienveillance. Je passe beaucoup de temps avec les équipes sur le terrain, avec les clients aussi.
Et puis, on l’oublie parfois un peu mais l’hôtellerie de luxe est devenue une industrie pointue, sans doute est-ce lié à l’arrivée de la finance et des fonds de pension dans notre métier. On est passés en très peu de temps de l’hôtellerie à papa à un métier très technique, doté d’outils informatiques et analytiques extrêmement complexes, le tout porté par le Web.
Si on avait parlé de revenue management, de compset, de channel manager, d’OTA, d’asset managers à des Directeurs de Palaces 30 ans plus tôt, les mecs se seraient roulés par terre de rire. Ou d’inquiétude…
Alors, oui, il faut être stratège, ou pour le dire plus simplement, être capable de se projeter, projeter le produit, projeter les équipes dans un futur avec des cycles d’innovation et de renouvellement tellement plus rapides.
On peut le dire, mais satisfaire les Actionnaires, satisfaire les Clients, satisfaire les Collaborateurs, tout ça dans le même temps alors qu’ils ont parfois des objectifs contraires, c’est un sacré métier d’équilibriste…
Et puis finalement, après 40 ans de carrière, si ce que j’ai fait, si la façon dont je me suis comporté, si ce que j’ai pu transmettre, cela a pu inspirer les collaborateurs dont j’ai croisé la route, alors j’en serais heureux.
L’Hôtel Royal Riviera est reconnu pour son service d’exception. Quelles valeurs humaines et professionnelles vous semblent indispensables pour maintenir ce niveau d’excellence au quotidien ?
La base ce sont la qualité du produit et les standards. Le respect de ces deux éléments est non négociable parce que c’est justement sur ces deux éléments qu’on construit tout le reste.
Depuis quelques années, beaucoup de groupes hôteliers ont déclaré dans leurs communications commerciales, qu’ils ne vendaient pas des chambres ou des repas, mais une « expérience ».
Le déclarer c’est une chose, le réaliser ça en est une autre. Alors on a commencé à parler du concept d’intelligence émotionnelle. Une façon de théoriser les émotions pour pouvoir les mettre « en boite » et ainsi mieux les transmettre. Je n’y crois que partiellement. Je crois à l’instinct, et à la capacité des managers de développer la force émotionnelle de chacun des salariés et de la canaliser. C’est Richard Bohringer qui disait : « je ne suis pas de la syntaxe, je suis de la syncope », j’aime bien cette formule et je suis convaincu qu’il vaut mieux un imparfait qui marche qu’un parfait qui ne marche pas.
Quand on parle d’“expérience”, on parle d’émotion. Quand on parle d’émotion, on parle d’Hommes (avec un grand H !) et quand on parle aux hommes, c’est aussi à leurs cœurs que l’on s’adresse. Des cœurs avec la réalité de la vie de tous les jours, entre joies et parfois aussi, tristesse. On ne peut pas l’ignorer quand on manage, il faut être à l’écoute des salariés, soutenir quand il le faut, sanctionner quand il le faut aussi, et c’est également le travail de l’équipe d’encadrement. Il n’y a pas de « petits chefs » chez nous.
Entre le Royal-Riviera et ses salariés, il y a un pacte informel de formation et de confiance.
Formation parce qu’il est du devoir de l’entreprise d’accompagner chaque salarié dans sa mission, de le pousser à rester curieux des choses et des autres, mais aussi de le faire grandir pour entretenir le désir d’évoluer de chacun.
Confiance parce que chaque employé doit venir heureux et confiant à son poste avec cet engagement intime : si je suis heureux au travail, alors je servirai et je rendrai heureux.
Voilà ce après quoi j’ai couru toute ma carrière.
Si vous deviez créer une “signature” de l’Hôtel Royal Riviera, quelque chose qui ne se retrouve nulle part ailleurs, qu’est-ce que ce serait ? Plus concrètement, un détail ou moment qui fera que vos hôtes se disent : “voilà, c’est du vrai luxe”
Allez, je vais me laisser aller à paraphraser Neil Armstrong :
Un petit hôtel pour l’homme, un grand hôtel pour l’humanité !
Plus sérieusement, je ne crois pas qu’on puisse parler de luxe uniquement parce qu’il y a du marbre partout, et des meubles très chers. Bien sûr, ça compte, mais j’ai toujours imaginé le luxe comme une valeur philosophique plutôt qu’une notion de coût. Et puis ce serait terrible et injuste pour ceux qui n’ont pas les moyens de se dire « nous, on n’a pas le droit au luxe ».
Pour moi, quelqu’un qui travaille dur 11 mois pour emmener sa famille au camping de Berck plage, c’est son luxe à lui, l’effort qu’il produit pour arriver à 4 semaines de bonheur avec ses gosses.
Alors, que tu sois propriétaire de Camping ou Directeur de Palace, c’est ça que tu dois offrir au Client : ce pour quoi il a payé, quel que soit le prix, et donner tout ce que tu peux pour que chaque moment de vie qu’il t’a confié et que ton entreprise partage avec lui, soit un moment parfait, un dépassement de ses attentes, un moment de bonheur. Pour moi, c’est ça le luxe, que tu sois riche ou pauvre, nos métiers d’hospitalité doivent te rendre heureux.
Parce qu’au bout du compte, au bout de ce moment partagé avec le client dans l’établissement que tu diriges, il ne restera qu’une question que le client aura légitimement le droit de se poser : est-ce que j’ai envie de revenir ?
C’est la seule question qui compte, que tu sortes d’un restaurant ou d’un Hôtel, la seule question que tu dois te poser.
Je reviens ou pas ? Si la réponse est oui, alors tu as fait le taf. Si c’est non, continue à bosser avec tes équipes.
Si vous deviez partager une “règle d’or” pour diriger un hôtel 5 étoiles, quelle serait-elle ?
Reste toi-même, travaille, sois curieux et généreux, sois attentif à tous ceux qui t’entourent et te regardent, amuse-toi quand tu peux, ne te prends pas pour tes clients, et surtout n’oublie pas que tu seras toujours du mauvais côté du buffet.
J’ai rencontré tellement de Directeurs de Palaces ou de 5* qui avaient le melon parce qu’ils évoluaient dans le luxe, parce qu’ils rencontraient des gens importants ou connus, que toute ma carrière ils m’ont servi d’exemples à ne pas suivre. Une thérapie inversée en quelque sorte… (rires)
Pour terminer sur une note personnelle, si vous étiez...
- Une émotion : La joie bien sûr, avec toutes ses variantes, je suis un dépressif enthousiaste !
- Une spécialité culinaire : L’œuf mayonnaise, pour son côté binaire et comptoir de bistrot.
- Un moment de la journée : Le coucher du soleil. A 62 baluches, ça sonne comme une évidence non ?! Et puis c’est l’heure de l’apéro ! (rires)
- Une personnalité historique : Jean-Sébastien Bach, c’est le seul qui pourrait réconcilier l’athée que je suis avec Dieu. Au fait, c’est une personnalité historique Bach ? (rires)