INTERVIEW : Michel Jauslin, Senior Advisor, Hyatt International E.A.M.E. LLC

news-main-interview-michel-jauslin-senior-advisor-hyatt-international-eame-llc.1574091964.jpg

Une carrière de 40 ans au sein des plus prestigieux groupes hôteliers internationaux - Intercontinental, Peninsula, Hyatt Hotels & Resorts – une vision forgée à travers quelques-unes des plus belles adresses européennes, africaines, asiatiques, voici ce qu’a choisi de mettre au service des projets de luxe mais aussi des générations à venir Michel Jauslin depuis un an. Les adresses dont il mena le développement et l’épanouissement obtinrent de nombreuses fois les récompenses les plus en vue de l’hôtellerie haut de gamme (MKG, Virtuoso, Hyatt…). Passé par la suite à la direction des opérations de Hyatt, il nous fait part de ses objectifs et valeurs en matière d’éducation mais aussi de développement de l’offre luxe.

 

Vendom.jobs - Pourriez-vous nous parler de votre activité actuelle ?

Michel Jauslin – J’ai quitté les opérations dans le groupe Hyatt depuis un an, ma précédente fonction étant la vice-présidence des opérations Europe du Sud-Ouest et Afrique du Nord ; mes prérogatives se sont ensuite concentrées à la France et l’ensemble de la Francophonie. 

Je suis actuellement Senior Advisor toujours pour le groupe Hyatt International Europe, Moyen-Orient et Afrique et, plus généralement pour l’hôtellerie haut de gamme. Mon expertise repose sur la recherche, l’acquisition et le développement de nouveaux projets pour le groupe.

V.J. - Pour notre lectorat de professionnels et jeunes professionnels : comment évolue-t-on au sein d’un tel groupe international ? Quelles sont les envies, les motivations mais surtout les qualités requises ?

M. J. – J’interviens régulièrement dans les écoles où j’explique que, pour envisager sa carrière, il est primordial de choisir tôt si l’on désire devenir entrepreneur ou être corporate, appartenir à un groupe. D’ailleurs, les deux enseignements sont, de nos jours, distincts.  S’ils veulent être stratégiques, les étudiants doivent faire ce choix et établir une stratégie à long terme. Certains entrent dans des groupes pour apprendre et ensuite devenir entrepreneur. Il est difficile dans ce cadre d’investir sur ces talents, mêlés d’incertitudes. J’ai moi-même fait le choix dès le début de ma carrière et de mes études d’intégrer un groupe. Lorsque l’on intègre le format corporate, il convient ensuite de faire le choix d’une filière (restauration, hébergement, finance, etc.).

Je pense que les motivations se dessinent au fur et à mesure. On ne peut enseigner la motivation. Toutefois, lorsque l’on a un objectif de carrière, il est recommandé de s’attacher à un mentor, ou un coach qui nous aidera à faire évoluer notre carrière, atteindre nos objectifs.

V.J. – Ce fut votre démarche ?

M. J. – En effet, et je pense avoir été un peu précurseur dans le domaine, c’est pour cette raison que je l’enseigne actuellement. J’ai rapidement compris qu’il me fallait un mentor pour partager, échanger mes opinions, décisions, hésitations et ainsi faire évoluer ma propre vision. Cela m’a été particulièrement utile car, souhaitant évoluer à l’international, je pus alors acquérir une meilleure compréhension des contextes, notamment culturels, afin de m’y adapter. Ainsi, je suis passé d’une opportunité à une autre, en sachant en saisir certaines en refuser d’autres.

Je n’ai jamais regretté mes décisions stratégiques. Après 40 ans à évoluer au sein du groupe Hyatt, j’ai pu mettre mon expérience au service de ce qui m’intéressait le plus : découvrir et développer de nouveau projets ; enseigner ce que j’ai pu apprendre sur le terrain au cours de ma carrière.

V.J. – Pourriez-vous nous parler également de vos activités concernant la formation des futurs professionnels ?

M. J. – Nous avons fondé le « Hyatt Student Prize » afin de favoriser, au sein des écoles, les vocations pour l’hôtellerie de luxe. Au sein du groupe Hyatt, nous remettons tous les ans également des récompenses. Le message est que le prix ne s’adresse pas seulement au travail du manager mais de toute l’équipe, qu’il n’existe pas de réussite uniquement individuelle dans le milieu de l’hôtellerie. Inversement, une équipe qui a été bien créée et bien formée par un leader ayant une vision solide sera gagnante.

J’ai ainsi passé beaucoup de temps à observer les échecs dus non pas à de mauvais éléments mais parce que la personne n’était pas à sa place. Voilà la façon dont j’enseigne le leadership. Pour les jeunes professionnels qui souhaitent mener leur carrière dans le management, je leur inculque la nécessité de bien créer ses équipes. De nos jours, tous les membres d’une équipe disposent d’un niveau d’éducation suffisant pour se révéler être des entités actives, indissociables du bon fonctionnement du groupe. On ne peut plus désormais accorder tout le succès d’un projet à une seule personne.

J’enseigne également qu’un bon leadership doit être capable de s’adapter à tous les environnements, à toutes les cultures.

V.J. – Quel serait pour vous le profil d’un candidat « à succès » ?

M. J. –  Il s’agit d’une question récurrente que l’on me pose lorsque je fais des conférences : « qu’elle est la recette idéale ? » Hyatt International a bien mis en évidence les compétences d’un « profil idéal ».

Je me focalise sur cinq critères qui sont en fait des qualités humaines indispensables à tout secteur basé sur les interactions sociales : le respect, l’intégrité, l’humilité, l’expérience et le fun (il faut prendre plaisir à ce que l’on fait, sans se prendre trop au sérieux). Je pense que le reste, j’entends les compétences techniques, doit pouvoir être enseigné. Un autre de mes sujets favoris est : peut-on enseigner l’intuition ? Non, mais je pense que l’on peut l’aider à se développer.

V.J. – Votre expérience en hôtellerie est largement internationale, comment avez-vous vu progresser ce secteur au cours de votre carrière ? En matière d’attente clientèle mais aussi d’émergence de destinations ?

M. J. –  Il y a quelques dizaines d’années, l’hôtellerie était plus stricte dans sa classification. Chaque segment de la clientèle s’y intégrait en fonction de son profil professionnel et social. Ainsi, le personnel s’adressait toujours à la même typologie de client. Aujourd’hui, les comportements de la clientèle sont plus fluides.

Parallèlement, les concepts hôteliers ont évolué, de l’hébergement à la restauration en passant par l’accueil. On ne pouvait auparavant considérer un palace sans un restaurant étoilé. Les raisonnements sont, de nos jours, moins rigides. Nous acceptons que la clientèle apprécie de trouver au sein de l’hôtellerie de luxe des espaces plus décontractés. Les chefs eux-mêmes font évoluer leur offre restauration en brasserie, grill, etc.

Un hôtelier doit être projeté dans la prochaine étape plutôt que s’accrocher à une tradition. Aujourd’hui, la tradition seule n’est plus garante de luxe.

V.J. – Pourtant beaucoup d’hôteliers se positionnent sur une notion de « savoir-faire à la française » en tant que force, héritage.

M. J. –  Nous ne nous positionnons pas tous de la même façon heureusement. Il ne s’agit pas d’aller contre la tradition mais penser qu’elle évolue, qu’elle est adaptable aux nouveaux besoins. Nous revenons par exemple à l’importance des bons produits, à leur simplicité, etc. Il s’agit là d’une évolution positive et responsable de la tradition. Les plus grands chefs se fondent toujours sur la tradition, leur patrimoine gastronomique, pour la faire évoluer et ainsi transmettre de nouveaux messages.

V.J. – Quels seraient les nouveaux courants à anticiper dans l’hôtellerie haut de gamme ?

M. J. –  L’une des grandes problématiques de l’hôtellerie, et pas seulement haut de gamme, est de pouvoir répondre à la rapidité de changement des préférences de la clientèle. Je m’explique, en tant que spécialiste de l’hôtellerie très haut de gamme, je n’ai jamais été en contact ces dernières années avec des clients qui n’avaient pas expérimenté des concepts tels qu’Airbnb ou équivalents.  Il est désormais possible de louer une villa à Mykonos avec service inclus, etc.

Le challenge à relever est de se questionner pour savoir comment tirer parti de cet existant concurrent que l’on ne peut éliminer et d’en faire une force pour le secteur hôtelier. Inventer de nouveaux concepts où les gens retrouvent ce qu’ils aiment dans ces formules comme, par exemple, repenser l’organisation de l’espace. Nous appelions ce concept « lifestyle hotel » mais il ne suffit plus à satisfaire la clientèle en matière d’indépendance, de flexibilité telles qu’on les aurait dans un logement individuel. Il est primordial de savoir comment stopper l’exode de notre clientèle vers ces offres. Il existe de nos jours avenue Montaigne plus d’hébergement individuels à louer que de chambres !

V.J. – Votre luxe personnel ?

M. J. –  Pour moi, c’est être propriétaire de son agenda. J’ai passé 40 ans à être actif et réactif sans cesse mais sans pouvoir prendre assez de temps pour avoir une vue d’ensemble. Dans l’hôtellerie, nous résolvons les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent et il est difficile de prendre suffisamment de recul pour apporter quelque chose de complémentaire. Avoir la maîtrise de son agenda signifie aussi pouvoir dire non à certains projets et pouvoir choisir ceux auxquels je pourrai au mieux apporter mon expertise.

 

(Crédit photo couverture : Hôtel Martinez)

 

 

 

 

 

Sobre el mismo tema