Dans cet entretien exclusif, Claire Blazy-Jauzac révèle comment son expertise, alliée au dévouement de ses équipes internationales, redéfinit les standards de l'industrie cosmétique. Elle prodigue également de précieux conseils aux jeunes professionnelles, les encourageant à oser, à rester authentiques et à façonner l'avenir avec assurance. Découvrez le parcours inspirant de cette femme exceptionnelle qui trace la voie pour la prochaine génération.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Nous parler de votre parcours professionnel, de Sanofi à la cofondation de CIDP à Maurice ?
Pharmacienne de formation, j’ai débuté ma carrière chez Sanofi Aventis en tant que responsable de la fabrication et de la distribution des produits pour investigation clinique. En 2004, j’ai décidé de m’installer à l'île Maurice et de co-fonder CIDP, qui allait devenir la première CRO du pays (Organisme de Recherche sous contrat). Notre ambition était de développer une activité de recherche scientifique et clinique, avec des standards élevés de qualité, dans les domaines de la dermatologie et de la cosmétique de luxe. L’île Maurice présente des avantages uniques : sa population multiculturelle, dont les caractéristiques physiques variées incluent différents types de peau et de cheveux, et sa situation géographique au sud de l’équateur, qui nous permet de réaliser des tests de produits cosmétiques pendant les saisons opposées.
Cette aventure, qui a commencé avec quatre personnes, se poursuit aujourd’hui avec plus de 130 collaborateurs à travers le monde, notamment en Roumanie, en Inde et au Brésil.
En tant que pharmacienne, mon inspiration découle de ma passion pour la recherche et l’innovation : j’aime construire des protocoles d’évaluation avec mes équipes de scientifiques et nos dermatologues, en discuter avec nos clients afin de leur apporter des solutions optimales pour évaluer au mieux leurs produits et mettre en lumière les résultats de leurs recherches.
Comment votre expérience en pharmacie vous aide-t-elle à comprendre les besoins spécifiques des cosmétiques du luxe ?
En tant que professionnelle de la pharmacie, je possède un vaste savoir scientifique et une grande rigueur, indispensables pour saisir les besoins de ma clientèle. Des entreprises renommées telles que L’Oréal, Chanel ou encore LVMH consacrent d’importants moyens à l’étude des phénomènes liés au vieillissement cutané, ainsi qu’à l’impact de notre mode de vie sur la santé de notre peau. De nombreuses études sont menées pour évaluer et analyser les impacts des polluants sur notre derme et épiderme, tels que l’ozone, les particules fines ou le diesel. Grâce à mon expérience antérieure dans le domaine de la pharmacie et à mon bagage académique, je suis capable de comprendre et de relever les défis auxquels font face mes clients.
Quelles sont les principales différences entre les tests cliniques pour les produits pharmaceutiques et ceux pour les produits cosmétiques de luxe ? Quels sont les défis spécifiques des tests cliniques menés pour des produits cosmétiques haut de gamme ?
Les fondements restent identiques : nous nous conformons aux Bonnes Pratiques cliniques, un référentiel international utilisé pour les études cliniques pharmaceutiques et cosmétiques. Cependant, le développement d’un produit cosmétique prend moins de temps, grâce à l’utilisation de méthodes alternatives telles que des modèles cutanés reconstruits ou des lignées cellulaires (mélanocytes, kératinocytes) pour évaluer l’efficacité et la sécurité des produits en laboratoire. Il convient de souligner que ces méthodes remplacent désormais les expériences sur les animaux, qui sont maintenant interdites.
Aujourd’hui, la création de produits inclusifs par les laboratoires, qui doivent être efficaces sur une variété de types de peau et de cheveux, nous oblige à recruter beaucoup de volontaires sur différents pays. Les principaux défis que nous devons relever sont d’avoir les bons volontaires dans des délais très restreints.
En tant que pionnière du département d'Assurance Qualité, quelles innovations avez-vous apportées pour garantir l'excellence des processus ?
Depuis notre création, nous nous sommes engagés à offrir à nos clients des solutions innovantes, que ce soit en optimisant nos processus internes ou en menant des recherches approfondies.
Par exemple, nous avons été parmi les premières CRO à adopter des outils numériques tels que les eCRF, les eConsent et les e-Pro. Ces innovations ont considérablement réduit les risques d’erreurs, accru notre efficacité opérationnelle et permis à nos clients de suivre leurs recherches à distance.
Nous avons aussi conduit de nombreuses recherches pour comprendre l’effet de l’exposome sur la peau. En effet, de nombreuses maladies cutanées sont exacerbées par la pollution. Cette exposition peut entraîner un stress oxydatif, une inflammation et un vieillissement prématuré de la peau. Nous mesurons l’impact de l’exposome sur la peau en évaluant des biomarqueurs qui affectent l’inflammation (IL-6, IL-1α, IL-B, PGE-2), l’anti-âge (collagène déroulé, procollagène 1, MMP-1) et les dommages à l’ADN (CPD, 8-OhdG). Récemment, nous avons mené une étude qui a mis en lumière le rôle joué par les polluants dans la perturbation de la barrière cutanée et l’aggravation de maladies telles que le psoriasis.
Ces dernières années, nous avons aussi beaucoup travaillé sur la lumière bleue et son impact sur les troubles pigmentaires.
Comment voyez-vous l'évolution du marché des cosmétiques de luxe dans les prochaines années, et comment CIDP se prépare-t-il à ces changements ?
Les consommateurs actuels deviennent de plus en plus exigeants, cherchant des produits hauts de gamme offrant une grande qualité. Ils sont également curieux des dernières avancées scientifiques en matière de soins de la peau et de beauté, notamment en ce qui concerne le ralentissement du processus de vieillissement.
C’est dans cette optique que les laboratoires de cosmétiques de luxe se penchent sur la science prometteuse du « reverse aging », qui vise à manipuler l’âge biologique de nos cellules en les rendant plus performantes.
Par ailleurs, grâce aux recherches menées par l’industrie cosmétique sur le microbiote cutané, il est désormais possible de développer des produits encore plus efficaces pour préserver la santé de notre peau, tout en minimisant les effets du vieillissement.
Le microbiome cutané est composé de milliards de micro-organismes par cm2 ; et protège l’équilibre des cellules de notre peau contre les facteurs environnementaux auxquels elles sont exposées. Les chercheurs tentent de comprendre cet équilibre et en particulier, comment il évolue avec le vieillissement et les signes que nous observons.
CIDP travaille avec de nombreuses marques de luxe dans le domaine des cosmétiques. Comment gérez-vous l'équilibre entre la rigueur scientifique nécessaire aux tests cliniques et les attentes spécifiques de l'industrie du luxe en termes d'image, d'expérience client et d'innovation ? Pouvez-vous nous donner un exemple concret d'un défi que vous avez relevé dans ce domaine ?
Ces deux dimensions, la rigueur scientifique et l’esthétique ne sont pas opposées, mais plutôt complémentaires.
La plupart de nos recherches reposent sur l’analyse d’images pré et post-utilisation produit. Nous utilisons des équipements d’imagerie de pointe, tels que le Colorface, la Spectracam de la société Newtone Technologies ou le Visa-CR de la société Canfield. Grâce à des algorithmes sophistiqués, nous sommes en mesure d’évaluer les changements de teinte d’une tâche pigmentaire ou de la profondeur d’une ride.
Ces images ne servent pas seulement à des fins scientifiques, mais peuvent également être utilisées dans des campagnes marketing. Nous allions l’esthétique de l’image et la force de la preuve scientifique.
L’expérience client est évaluée à l’aide d’outils variés, allant de simples questionnaires à des méthodes plus avancées impliquant les neurosciences.
Comment abordez-vous la gestion des talents et la diversité culturelle au sein de CIDP ?
CIDP est une société de service, notre principale richesse réside dans la compétence et l’engagement de nos employés.
La confiance que nous avons acquise auprès des leaders de l’industrie cosmétique du luxe est le fruit de l’engagement constant et de l’agilité de nos collaborateurs. Notre équipe d’experts pluridisciplinaires, dotée d’un haut niveau de compétence, accompagne nos clients à chaque étape de leurs projets.
Avec des collaborateurs à Maurice, à New Delhi, à Rio et à Bucarest, la diversité culturelle se vit chaque jour intensément chez CIDP. Cette diversité culturelle nous rend plus forts, plus curieux, plus agiles ; elle nous aide à comprendre les attentes de nos différents clients et des différents marchés sur lesquels nous sommes présents.
Nous avons créé un programme d’échanges interculturels au sein de nos filiales, offrant ainsi à nos employés l’opportunité de mieux se connaître, de renforcer leur compréhension mutuelle et de favoriser une collaboration plus efficace.
Nous avons également établi un comité consultatif composé de chercheurs issus de milieux académiques variés, en provenance de différents pays. Ce forum est une véritable plateforme d’échange, contribuant grandement à l’innovation grâce à sa dynamique stimulante.
Cette diversité culturelle constitue notre plus grande force : nous prenons soin de la chérir et de la cultiver quotidiennement.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes professionnels, en particulier aux femmes, qui aspirent à des postes de direction ?
Les femmes doivent oser et être authentiques ! L’authenticité est une forme d'efficacité. Choisissez un métier que vous aimez et qui a du sens : vous êtes libre de décider dans quel domaine et pour quelle cause vous souhaitez exercer votre activité !
Vous détenez tant de pouvoir : ne soyez pas simple passagère, vous pouvez changer le cap !
Comment la transformation digitale a-t-elle impacté la recherche et le développement dans l'industrie des cosmétiques de luxe ?
L’avènement de la révolution numérique offre aux marques de cosmétiques les moyens de proposer des expériences client sur mesure grâce à des outils avancés. Par exemple, l’intelligence artificielle permet la reconnaissance faciale et l’analyse cutanée pour aider les consommateurs à découvrir des produits spécifiquement adaptés à leur type de peau et à leurs goûts esthétiques.
De nos jours, les technologies permettent à CIDP de mener des études cliniques à distance sur de longues durées.
Et enfin, plus personnellement, si vous étiez…
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