INTERVIEW : Erik Perey fondateur de E Comme…

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Co-fondateur de Luxury Attitude, label de formation dont les enseignements ont fait l’objet de la publication du même nom*, Erik Perey fut précurseur dans l’art de repenser l’expérience client en transposant son expertise de l’hôtellerie de luxe à l’attention des marques. Son dernier projet, E Comme…, accompagne les entreprises qui souhaitent capitaliser sur leurs richesses internes (collaborateurs) ou externes (clients) toujours en s’inspirant de l’art du service, de l’hospitalité, de l’excellence. Une mutualisation des expertises, des visions qui tendent à créer l’expérience de demain : l’enchantement de la rencontre.

Vendom.jobs - Pourriez-vous nous parler de la genèse de Luxury Attitude ?

Eric Perey - Nous avons créé, avec Lionel Meyer, Luxury Attitude en 1997 car nous avions le sentiment que l’expérience client n’était pas à la hauteur de l’empreinte que voulaient laisser les marques hôtelières de luxe. Une attention extrême était portée à l’environnement, le design, etc. Par contre, personne ne s’intéressait vraiment à la création de valeurs lors du check-in ou du check-out. C’est à ce moment que nous avons inventé la notion de « design de service » ; l’idée étant de traduire en signes tangibles l’ADN d’une marque.

Nous avons accompagné des centaines d’hôtels 3, 4, 5 étoiles. Très vite, nous nous sommes aperçus que les marques de luxe étaient aussi sensibles à cette approche. La première personne à s’y être intéressée fut la présidente de Chanel qui avait été subjuguée par son séjour à l’hôtel Le Meurice dont nous avions formé les équipes. Nous avons travaillé avec Chanel à travers toute l’Europe. Nous avons enseigné aux vendeuses comme transmettre l’esprit de la marque, son histoire, celle de Mademoiselle Chanel, au sein des boutiques. Nous avons ensuite élargi le concept aux marques retail. Nespresso fut la première dont nous nous sommes occupés.

Il nous a alors semblé qu’il était nécessaire de faire largement prendre conscience de cette valeur ajoutée et nous avons théorisé dans la publication Luxury Attitude que le Service dans l’univers du luxe repose sur trois dimensions complémentaires : la dimension professionnelle, la dimension humaine et la dimension esthétique. Nous y avons également développé des concepts clefs pour développer la fidélisation du client dont celui dit « du don et de la dette ». Il s’agit là de prendre conscience que les collaborateurs ont une dette envers le client qui s’est déplacé pour venir en boutique et que, pour lui donner envie de revenir, il doit avoir le sentiment qu’on lui a fait un don.

V.J.- Votre actuel projet, E comme…, repose-t-il sur les mêmes constats ? Comment est-il né ?

E. P. – Nous avons vendu Luxury Attitude en 2012 à l’école de management INSEEC que nous avons accompagnée jusqu’en 2016. Mais à cette époque, j’ai eu envie de passer de l’autre côté du miroir. Après avoir travaillé 15 ans sur l’engagement des clients, je voulais me recentrer sur l’expérience collaborateur. J’ai ainsi découvert que les techniques appliquées au client pouvaient être transposées envers les collaborateurs car elles utilisent les mêmes ressorts : la personnalité, le vécu émotionnel, le don et la dette, etc.

Voici un an, je me suis dit qu’il me fallait un nouveau challenge pour aller plus loin. J’ai ainsi créé E Comme...  Il me semble qu’il y a des termes clefs commençant par « E » qui décrivent parfaitement l’univers du luxe : Emotion, Empreinte, Excellence, Expérience, Ethique...

V.J.- Si vous aviez un état des lieux à dresser depuis la première parution de Luxury Attitude, quel serait-il ?

E. P. – Le premier repose sur les témoignages des gens que nous avons formés et qui me disent que cet apprentissage les a marqués durablement. Lors de la vente à l’INSEEC, nous avons créé un nouveau concept pédagogique : le « eMovie Learning ». Nous avions, en effet, l’intuition que l’enseignement magistral en salle était un peu désuet et que le caractère immersif de la fiction était un excellent vecteur du message et surtout toucherait beaucoup plus de gens. Nous avons créé la série Le Luxe c’est vous. Au travers d’une enquête journalistique, deux personnages découvrent l’univers du luxe. Nous y invitions des professionnels qui y jouaient leur propre rôle – on peut citer, entre autres, Christophe Michalak, Raymond Bickson, précédent CEO de Taj Hotels, Resorts & Palaces, etc. -   pour y parler de leur vision de l’industrie.

Le second concerne le point de vue des dirigeants. J’ai là le sentiment qu’il reste encore du travail ; que les clients sont toujours en avance et qu’ils sont à la recherche d’expériences encore plus fortes que ce que l’on est encore en mesure de leur offrir. Selon moi, les dirigeants doivent acquérir la conviction que l’humain peut être créateur de valeurs ; que la personne passe avant la fonction.

V.J.- Nous en revenons donc à l’idée que la dimension humaine est au centre de la réussite d’une entreprise en matière d’expérience client ?

E. P. – En effet, de nos jours, tous nos systèmes sont virtualisés, nous avons donc besoin d’un supplément d’humanité, d’un regard, d’une âme, d’un cœur. Nous retrouvons cette intensité dans les petits commerces et les chambres d’hôtes. Grâce aux outils numériques, les clients sont extrêmement bien informés et ils se rendent compte que les produits qu’on leur propose ne sont pas différenciants. Or, dans les métiers de service (je travaille aussi avec des banques notamment), la vraie valeur ajoutée est l’homme ou la femme qui est en contact avec le client.

Je travaille maintenant depuis une dizaine d’années avec Air France. A l’époque de nos premiers contacts, son président-directeur-général, Alexandre de Juniac fut interpellé par la proposition grâce à laquelle je concluais ma présentation : « Je vous invite à faire de vos collaborateurs des héros de l’expérience client. » Si vous ne pouvez offrir à vos clients des services luxueux, miser sur le collaborateur, son plaisir à faire plaisir, à échanger.

V.J.- Pourtant, dans l’hôtellerie de luxe, les directeurs généraux, les responsables des ressources humaines semblent avoir intégré cette nécessité. Quelle serait alors la prochaine étape à accomplir ?

E. P. – Je crois fermement que les DRH sont honnêtes en cela et qu’ils font des efforts. Nous avons énormément progressé concernant l’investissement dans les formations aux « soft skills ». Je pense que la clef de la réussite réside dans la proximité au collaborateur et qu’elle est la responsabilité du manager de proximité qui est aussi au plus proche du client. A mon sens, c’est à eux de s’investir dans le coaching et faire progresser leurs équipes. Pourtant, le plus souvent, on embauche des gens uniquement pour leur expertise et non leur leadership.

La majorité des managers de proximité, à l’heure actuelle, ne se préoccupent encore que des chiffres, du « combien » et non du « comment ». Or, l’excellence est le management du comment. Il convient de mettre au cœur du métier l’intention et l’impact, et par là j’entends dans l’impact émotionnel, quitte à prendre des risques et analyser ses succès et ses échecs pour s’améliorer, comme un sportif de haut niveau !

V.J.- L’hôtellerie de luxe fait souvent office de précurseur dans les tournants que doivent prendre les entreprises (je pense à l’éco-responsabilité, la conservation d’un patrimoine, entre autres). Comment expliquez-vous ce phénomène ?

E. P. – Je pense que l’industrie hôtelière sert d’observatoire à beaucoup d’entreprises et ceci, en raison de la grande concurrence qui règne dans ce secteur, mais aussi parce que les clients qui sont fidèles à une marque le restent. Donc, ce n’est pas le produit qui fait la différence, mais le service. Les entreprises qui viennent à moi le font pour mon expertise en matière d’hôtellerie de luxe car, lorsque ces dirigeants se rendent dans ces adresses, ils sont impressionnés par l’attention qu’on leur porte. Ils se rendent compte que les équipes ne sont pas là pour les servir, mais les enchanter, qu’elles ont dépassé la simple interaction commerciale !

Je dis souvent : « Les clients viennent pour une marque, achètent un produit et reviennent pour les hommes et les femmes qui ont créé l’expérience. » Le client doit avoir le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel. Nous avons aujourd’hui, quel que soit notre niveau de vie, la possibilité d’avoir quasiment tout ce que nous désirons. Nous devons réintroduire le contact au cœur de l’échange en donnant un sens à cette consommation. En formation, j’introduis l’idée du « care », de prendre soin du client. Les rencontres sont désormais plus importantes que le produit.

V.J.- Beaucoup ont le sentiment que le terme luxe est quelque peu galvaudé, qu’il est devenu un argument commercial avant tout. Les professionnels parlent désormais plus volontiers d’ « excellence ». Quelle est votre point de vue sur ce sujet ?

E. P. – Le mot « luxe » a, en effet, été détourné à des fins strictement commerciales. J’aime cette phrase de Paul Iribe, l’artiste créateur du graphisme appliqué sur le flacon d’Arpège de Lanvin notamment : « Luxe : besoin qui commence où finit la nécessité... ». Lors de la création de Luxury Attitude, notre accroche était : « la dimension humaine du luxe ».

Le terme « excellence » serait également pour moi plus adéquat car il est lié à la notion d’artisanat et, donc, de l’artisan. C’est-à-dire quelqu’un qui traite le sujet de façon individuelle. Comme le résume Bernard Dubois dans L’Art du marketing : « jadis alimenté par la consommation ordinaire de gens exceptionnels, le luxe se nourrit aujourd'hui de la consommation exceptionnelle de gens ordinaires ». Alors que l’artisanat est fait pour répondre à une seule motivation : je suis un être unique, je veux que ce soit fait exceptionnellement pour moi. Ceci est transposable dans l’univers du service en démontrant sa capacité à poser les bonnes questions, écouter et construire quelque chose qui fera que le client aura le sentiment que ce qui est fait l’est fait exclusivement pour lui.

V.J.- Quelle est votre plus grande satisfaction professionnelle ?

E. P. – C’est une question vaste… Je pense que mon plus grand plaisir est quand je quitte la salle de formation et que les personnes qui ont assisté à la séance me disent qu’ils accompliront leur métier de façon totalement différente dorénavant. J’ai le sentiment alors qu’ils ont vécu quelque chose d’unique et extrêmement particulier.

C’est ainsi que, lors d’une formation, l’employé d’un hôtel m’avoua que s’il m’avait rencontré il y a 25 ans, il n’aurait travaillé de la même façon. Il s’était rendu compte qu’il avait, jusqu’alors, accompli sa profession en étant uniquement tourné vers son intérêt personnel sous prétexte que client a besoin de lui et non vers le plaisir d’une interaction enrichissante pour les deux parties.

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*Perey E. et Meyer L., 2009, Luxury Attitude, Paris : Maxima Laurent du Mesnil éd.

 

 

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