Rencontre avec Sandrine Couroyer : De l'Industrie du Luxe à l'Upcycling Artistique

Dans le monde du luxe français, où l'excellence et la tradition se marient à l'innovation, Sandrine Couroyer se distingue comme une figure à la fois respectueuse du patrimoine artisanal et tournée vers l'avenir.

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Avec plus de trente ans d'expérience dans des maisons prestigieuses telles qu'Hermès, Louis Vuitton, et actuellement Goossens (Groupe Chanel), Sandrine a forgé une expertise unique dans le développement de produits de luxe et la valorisation des savoir-faire artisanaux.
 
Mais c'est son initiative novatrice, Les MétamorFoses, qui révèle véritablement sa vision avant-gardiste. Co-fondatrice de cette association, Sandrine Couroyer repousse les frontières de l'upcycling artistique et de l'économie circulaire dans l'industrie du luxe. En donnant une seconde vie à des matériaux jugés imparfaits, elle crée une synergie unique entre les manufactures françaises centenaires et des artistes du monde entier.

Dans cette interview, Sandrine Couroyer nous ouvre les portes de son parcours, partage ses réflexions sur les défis actuels de l'industrie du luxe, et nous invite à repenser notre rapport au temps et à la consommation dans un monde en constante évolution.
 

Bonjour, pourriez-vous vous présenter et nous évoquer ce qui vous a initialement attirée vers l’industrie du luxe et comment votre cheminement s’est déroulé ?

Bonjour, mon parcours a été très passionnant ! J’ai notamment eu la chance d’avoir commencé à travailler chez Hermès en présence de Jean-Louis Dumas.

Depuis maintenant trente ans, j’évolue dans l’univers des métiers d’art, au contact des artisans, des ateliers et des savoir-faire. Diplômée d’une école de commerce, je me suis volontairement orientée vers l’industrie du luxe, une niche qui n’attirait pas encore énormément de talents ; je me suis formée sur le terrain au contact d’experts passionnés qui m’ont transmis leur amour des belles matières et du beau geste.

C’est ainsi que j’ai découvert cet univers et que j’ai appris mon métier.

J’ai évolué dans différentes grandes Maisons françaises telles qu’Hermès, Louis Vuitton, Moynat et aujourd’hui Goossens, en me spécialisant progressivement dans le développement des nouveaux produits et des commandes spéciales, à la recherche de matières et de techniques toujours plus exceptionnelles.

Pouvez-vous nous parler de votre rôle actuel chez Goossens-Paris (du Groupe Chanel) et des principaux défis que vous y rencontrez ?

J’ai rejoint Goossens, une des Maisons d’Art du groupe Chanel, en décembre 2021 pour prendre la direction du développement produit. Les enjeux de ce rôle sont multiples : en premier lieu, développer les collections de notre marque, mais aussi celles de l’ensemble de nos clients parmi lesquels Chanel occupe une place privilégiée.

Il est essentiel d’être innovant en apportant des propositions toujours plus créatives, inscrites dans l’air du temps. Les nouvelles technologies telles que la conception 3D sont au service des artisans pour concentrer leur savoir-faire sur la véritable valeur ajoutée.

Un autre enjeu très important est d’assurer la transmission des savoir-faire aux jeunes artisans qui rejoignent nos ateliers aujourd’hui. Ce point est à la fois stratégique et déterminant.

Les MétamorFoses est une initiative unique dans l'upcycling artistique et l'économie circulaire. Qu'est-ce qui vous a inspirée à co-fonder cette association ?

L’idée de lancer cette initiative a surgi assez naturellement : la sélection dans notre industrie est très exigeante. La recherche de la perfection pousse à rejeter des matériaux présentant des imperfections, parfois très subtiles, mais qui conservent toute la noblesse du savoir-faire qu’ils incarnent. Cette sélection drastique est une réalité que j’ai vécue quotidiennement dans mes différents postes. Je me souviens notamment des sessions de triage de peaux en tannerie : il arrive parfois que la majorité de la production soit ainsi rejetée.

À un moment où les ressources se raréfient et où la prise de conscience environnementale devient plus forte, il m’a semblé presque évident de construire cette proposition qui faisait particulièrement sens aujourd’hui : donner une seconde vie à des matières qui étaient vouées à la destruction.

Comment choisissez-vous les matériaux imparfaits et les artistes pour créer les pièces uniques de la collection Les MétamorFoses ?

L’idée est de mettre en valeur des matières issues des belles manufactures françaises inscrites au patrimoine, c'est-à-dire, des Entreprises du Patrimoine Vivant (EPV) qui sont souvent centenaires.
Volontairement, nous avons choisi des artistes et designers issus du monde entier. Ainsi, le regard porté sur ces matières est encore plus riche. Peu importe leur notoriété, leur histoire ou leurs expériences passées : ils ont tous été convaincus par la proposition, séduits par l’expérience de venir à la rencontre de savoir-faire traditionnels, d’entrer dans des ateliers centenaires et, pour certains, de travailler à quatre mains avec des artisans experts.

Au-delà de l’idée de sublimer les imperfections, ce sont les rencontres et les liens tissés lors de la conception de cette première collection qui resteront gravés dans la mémoire des participants.

L’initiative des MétamorFoses est avant tout une aventure humaine. C’est ce qui la rend encore totalement unique.

Pouvez-vous partager une expérience marquante ou un projet des MétamorFoses dont vous êtes particulièrement fière ?

Le moment le plus marquant des MétamorFoses est, sans hésiter, la concrétisation de la première exposition en juin 2022. La première collection a été dévoilée au grand public au Conservatoire national des arts et métiers, moins d’un an après la création de l’association. C’est un véritable tour de force réalisé grâce à l’enthousiasme de tous  pour ce projet.

Comment conciliez-vous les exigences de la production en série limitée et sur mesure avec les standards élevés de qualité dans le secteur du luxe ?

Dans notre secteur d’activité, la qualité n’est pas une option : c’est un prérequis absolument nécessaire. L’exigence de qualité est la même, quel que soit le volume produit.

En revanche, il est important de comprendre la naturalité des matières et la spécificité d’un savoir- faire artisanal. Le beau geste exécuté à la main donne à chaque pièce une parfaite imperfection qui la rend absolument unique. C’est précisément ce que le client recherche.

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels l'industrie du luxe devra faire face dans les années à venir, notamment en termes de développement durable et de responsabilité sociale ?

Le principal défi sera certainement de prendre en compte la pénurie de certaines matières premières et de respecter le rythme auquel la planète peut fournir les ressources. La rareté, voire même la disparition de certains composants doit avant tout nous forcer à remettre en question nos modes de fonctionnement et pousser notre créativité.

Plus que jamais, l’industrie du luxe doit se distinguer par son mode de consommation et sa relation au temps qui la caractérise. Un produit de luxe s’inscrit dans le temps long : sa conception, sa fabrication, son acheminement et son utilisation sont des étapes importantes pour l’obtenir. La désirabilité n’est jamais aussi grande que lorsque la rareté impose une attente pour obtenir ce que l’on souhaite. Dans la culture actuelle de l’immédiateté, cette valeur semble un peu désuète. Il me semble cohérent de la remettre en avant pour valoriser toute la sophistication recherchée dans le monde du luxe.

L'artisanat et les savoir-faire traditionnels jouent un rôle central dans votre travail. Comment voyez-vous l'avenir de ces métiers face aux avancées technologiques et à la mondialisation ?

Le principal défi est de susciter des vocations auprès des jeunes générations pour transmettre les savoir- faire stratégiques de ces métiers artisanaux qui sont, avant tout, des métiers de passion.

La technologie vient au service de l’artisan pour concentrer le savoir-faire sur la partie la plus noble du métier. Elle doit aussi permettre d’ouvrir le champ des possibles pour favoriser la créativité.

La mondialisation ne représente pas un véritable risque. Au contraire, elle offre l’opportunité de s’enrichir en découvrant les trésors culturels de chaque zone géographique dans le domaine de l’artisanat, de rapprocher les maîtres et les experts dans leurs domaines.

Grâce aux nouvelles technologies, l’artisan n’est plus véritablement solitaire. Chaque atelier a potentiellement une fenêtre ouverte sur le reste du monde.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes (ou moins jeunes !) professionnels qui souhaitent se lancer dans l'industrie du luxe ou dans des initiatives comme Les MétamorFoses ?

Le principal conseil est d’être curieux et de rester humble.

Et enfin, plus personnellement, si vous étiez…

Une matière : le cuir d’agneau, pour sa sensualité

Un souvenir : ma première étoile filante, au temple de Philae

Un plat : le poulet basquaise, que je cuisine « à ma manière » pour mes enfants

Un livre de chevet : « La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules » de Philippe Delerm.

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