Interview : Estelle Lagarde, Fondatrice / Directrice Créative, LAGARDE©

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Le parcours d'Estelle Lagarde a débuté en tant que stagiaire chez Van Cleef & Arpels, où elle a découvert son amour pour l'art de la gouache. Son chemin inattendu l'a conduite à devenir une artiste de la gouache au sein de l'entreprise. Après avoir démontré une incroyable résilience pour surmonter des épreuves, elle a fondé sa propre marque, LAGARDE, guidée par sa croissance personnelle et ses valeurs. L'objectif d'Estelle est de redonner vie à l'artisanat humain dans le domaine de la joaillerie et d'éduquer les clients sur le processus de production. Elle met en avant l'importance de la curiosité pour favoriser la créativité et adopte la devise "Les rêves appartiennent à la réalité" comme témoignage de sa croyance en la réalisation des rêves par le dévouement.

Vendôm Talents - Vous avez commencé votre carrière en tant que stagiaire chez Van Cleef & Arpels. Comment cela a-t-il influencé votre vision de votre parcours professionnel ? Votre stage a-t-il considérablement modifié votre carrière "prévue" telle que vous l'aviez imaginée ?

Estelle Lagarde - Exactement. C'est très simple, le jour où je suis arrivée au studio de création, j'ai tout de suite compris que c'était ça que je voulais faire de ma vie. De la gouache !

D'ailleurs je me souviens, pendant que je réalisais mon stage, j'avais entendu qu'ils cherchaient un gouacheur mais qu'ils n'en trouvaient pas parce que souvent les personnes voulaient faire du design en même temps.

Et ils m'ont dit : « ça ne t'intéresse pas toi Estelle par hasard ? »

Et là je vous laisse imaginer... Dans ma tête, c'était un feu d'artifice ! Bien sûr que ça m'intéressait, c'était mon rêve ! À l'époque, je n'étais pas du tout intéressée par la création, donc c'était parfait.

Ils m'ont dit : « OK, tu finis quand ? ». J'ai dit: « Cet été ». Puis ils m'ont dit : « alors, quand tu as fini tes études, écris-nous, on te prend ! »

Je suis sorti du travail le soir pour prendre le métro. Je doute tellement de moi que je ne savais même plus si j'avais vraiment entendu ce qu'ils m'avaient dit.

Et la fin de mes études est arrivées. Ils ont tenu parole ! C'est là que tout a commencé pour moi professionnellement.

J'avais adoré cette expérience. Elle était courte, mais j'ai tellement appris avec eux !

Ils m'ont transmis énormément, surtout Catherine ! Ma formatrice de l'époque. Elle était talentueuse, elle m'a généreusement transmis tout son savoir ! C'était précieux.

V.T. - Qu'est-ce qui vous a poussé à vous éloigner du travail dans une grande Maison du luxe et à créer votre propre entreprise ?

E.L - Malheureusement j'ai fait un burnout suivi d'une grosse dépression il y a un peu plus de 4 ans maintenant. C'est ce qui m'a détruit et refait vivre en même temps.

C'est très paradoxal tout ça, mais je crois que c'est vraiment ce qui s'est passé.

Ce n'est pas ma tête qui a décidé de partir. C'est mon corps.

Il a abandonné mon esprit. Je crois qu'il m'a mis en mode "instinct de survie".

Malheureusement j'ai été diagnostiquée en burnout six mois après mon arrivée en Suisse. Et pour moi, c'était impossible de le concevoir.

Alors j'ai fait comme si j'avais une grippe passagère... Le jour où on me l'a annoncé je ne l'ai pas pris au sérieux. J'étais choquée mais je me suis dit qu'ils se trompaient...

J'ai fait un déni, et je suis restée deux semaines en arrêt maladie. J'ai repris le travail bien sûr et j'ai creusé mon trou de plus en plus profond. J'ai traîné ça 4 ans...

Croyez-moi, quatre ans d'enfer c'est long.

Jusqu'au jour où j'ai senti en rentrant un soir à la maison que j'étais à bout de force. Je ne tenais plus. Physiquement et moralement. J'avais l'impression que je n'étais plus capable de vivre un jour de plus.

Et ce jour-là, j'ai compris que j'étais allée trop loin et qu'il fallait m'aider. Que je me sorte de tout ça !

À côté de ça je vivais aussi du harcèlement.

J'en pouvais plus... Je mourrais, je brûlais par tous les bouts et je ne comprenais plus pourquoi je m’infligeais autant de souffrance.

Puis le jour où mon corps s'est arrêté, il m'a sauvé la vie en fait ! Il tuait la Estelle qu'il ne devait plus y avoir en moi pour laisser place à la bonne !

V.T. - Et quelle belle renaissance, Estelle ! Comment définiriez-vous LAGARDE ? Qu'est-ce qui vous distingue sur ce marché de niche ?

E.L. - C'est une excellente question ! Nous sommes au début de l'histoire de LAGARDE.

Donc je n'ai pas l'impression que je peux encore tout à fait lui donner une identité car cette marque évolue constamment en moi. La chance que j'ai, c'est que je me suis trouvée personnellement et je crois que c'était essentiel avant de pouvoir créer ce projet ! Je veux être alignée avec ce que je défends.

Aujourd'hui j'ai l'impression de porter deux casquettes diamétralement opposées. Celle de l'artiste et celle de l'entrepreneuse en même temps. Mais je veux prouver que l'une et l'autre peuvent s'accorder ensemble pour créer quelque chose d'hyper chouette !

Je ne veux surtout pas que mon ambition d’entrepreneuse vienne écraser mes valeurs.

L'identité n’est pas fixée, mais je sais où je veux aller. Je connais la finalité qui me rendrait hyper fière ! C'est ça mon moteur. Parvenir à créer quelque chose dont je serais véritablement fière.

J'ai mes valeurs personnelles, mon parcours et mes expériences aussi qui influent énormément sur la manière dont je veux avancer avec cette marque. Je ne peux pas oublier d'où je viens, ce que j'ai vécu, ce que j'ai vu dans cette industrie.

Je suis avant tout une passionnée. Et j'espère ne jamais oublier ça !

Alors mon vœu le plus cher est de remettre au centre de la joaillerie la main de l'homme. Les valeurs humaines. Il est là pour moi le vrai luxe de demain. Dans ce qui se fait rare, et nous devenons cette rareté.

À l'heure du numérique, du digital et de l'intelligence artificielle, il me semble qu'il y a une véritable urgence à remettre en avant ce que nous sommes capables de faire de nos mains en tant qu'êtres humains. Ça a énormément de valeur. Aucune machine ne vous délivrera l'émotion et la chaleur qu'un être humain peut créer de ces propres mains.

Il me semble fondamental de sensibiliser les clients à comment les pièces sont produites. Qu'ils comprennent tout le processus, les étapes de réalisations. Il y a une grande méconnaissance à ce sujet et c’est dommage car le parcours est si riche !

Nous devons faire découvrir les coulisses de notre industrie.

Je connais des centaines de personnes qui se lèvent aux aurores chaque matin pour créer, façonner les plus belles pièces des grandes marques – que celles-ci soient joaillières ou horlogères d'ailleurs.

V.T. - Selon vous, à quel point l'éducation est-elle importante dans le domaine du design ? Est-elle aussi essentielle que les stages et l'expérience professionnelle ?

E.L. - J'ai énormément négligé ça après mes études. J'avais du mal à créer et je crois que c'est parce que je ne m'intéressais pas aux choses. Je n'étais pas très ouverte, pas très curieuse, un peu bornée, renfermée, la différence me faisait peur. Je n'étais pas désireuse d'apprendre plus non plus.

Vraiment j'étais très, très différente d'aujourd'hui. Je ne sais pas comment j'ai eu ce déblocage. Je crois que c'est venu de façon naturelle. Ce burnout et cette dépression en vrai, ça m'a éveillé !

S'intéresser aux choses, aux gens, ça permet d'ouvrir sa créativité. Je l'ai compris il n’y a pas si longtemps ça. Et plus vous le comprenez, plus vous vous apercevez à quel point le champ de création est infini !

Alors pour répondre à votre question, je ne pense pas que l’éducation, dans le domaine du design, soit essentielle, mais je pense néanmoins qu’elle offre une perspective de création folle !

La créativité n'a pas de limites, la seule limite qu'on lui donne est celle de nos propres connaissances. Maintenant je vous le jure, je m'intéresse et m'interroge sur tout ! J'ai de moins en moins peur de la singularité et ça aussi, je pense que ça va me permettre d'assumer encore plus qui je suis. Ça se ressentira dans mes créations. C'est aussi un vrai chemin personnel et très libérateur tout ça.

V.T. - Qu'est-ce que vous aimeriez dire aux jeunes talents de demain qui s'intéressent (même à ceux qui ne s'intéressent pas) au métier du design ?

E.L - Je dirais que c'est un terrain d'expression fantastique ! Vous pouvez être qui vous êtes dans vos créations. C'est un accouchement personnel. En tout cas pour moi c'est le cas.

Je ne me suis jamais senti aussi bien dans mes bottes que depuis que je peux vivre cette liberté de créer, de m'exprimer et de faire ce que je veux ! Je vole comme un oiseau en ce moment. Ça a une saveur incroyable !

V.T. - En tant qu'entrepreneuse, quelle est votre force motrice quotidienne ? Avez-vous une devise inspirante, une phrase ou même une personne qui vous inspire ?

E.L. - Ma force motrice me vient du passé, de mes rêves d'adolescence que j'ai envie de réaliser. Je n'oublie pas d'où je viens. Ça aussi, c'est ma force.

Mais cette énergie me vient aussi du présent et de mon ambition que j’ai envie de porter à bout de bras ! Je crois que, au fond de moi, j'ai tellement peur que tout s'arrête et de revivre ce que j'ai vécu que ça me donne une force folle pour avancer. Puis il y a les gens que j'aime, qui me soutiennent et qui me portent... J'ai besoin d'eux.

Mais je pense surtout que la passion et le cœur s'en mêlent. Si je n'aimais pas ce que je fais, croyez-moi, j'aurais lâché depuis un moment... C'est énormément de travail et d'investissement personnel.

Je me sens comme une enfant avec ce projet. J'avance naïvement sans savoir vraiment à quoi m'attendre. C'est hyper troublant mais je crois à la fois que c'est une force, car si on m’avait présenté sur le papier toutes les difficultés auxquelles j'allais me confronter depuis le début de cette aventure, je ne sais pas si j'aurais pris le départ ! Je pense que j'aurais fait une sacrée crise d'angoisse !

Là, je me fais surprendre à chaque instant. Ça me demande de gérer l'instabilité constamment et émotionnellement, c'est très difficile à vivre mais maintenant, j'arrive de mieux en mieux à le gérer !

Limite, la stabilité m'angoisse maintenant. Je vis et j'avance au jour le jour. Je me laisse porter et pour gérer l'imprévu du quotidien, je me shoote à la positivité !

Ma devise est devenue le slogan de ma marque : « Les rêves appartiennent à la réalité. »

Je crois que tous les rêves sont réalisables. La seule chose qui nous donne l'illusion du contraire, c'est toute la distance que nous avons à parcourir pour qu'ils deviennent réalité.

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