31/07/2019

INTERVIEW : Jérôme Tourbier, CEO Les Sources de Caudalie, président de SLH

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Depuis la fin des années 1990, Jérôme et Alice Tourbier insufflent au paysage de l’« accueil à la française » un vent nouveau. C’est d’abord en s’inspirant des richesses de nos terroirs et de leurs bienfaits naturels que naquit le concept de spa vinothérapie, Les Sources de Caudalie. Bénéficiant de l’environnement des vignobles bordelais, leur vision d’un tourisme innovant et respectueux de nos régions les amena naturellement à développer au sein du domaine Les Sources de Caudalie – premier palace du Bordelais depuis 2016, doté d’un restaurant doublement étoilé - un écosystème sur lequel se fondent, depuis, de nouvelles adresses du groupe et, en premier lieu, Les Étangs de Corot (Ville-d’Avray) qui conjugue également gastronomie et soins. Fort de cette expérience d’une vingtaine d’années dans l’industrie hôtelière de luxe, Jérôme Tourbier, président de Small Luxury Hotels of the World depuis 2016 et auteur de l’analyse Tourisme en péril : Redonner à la France la capacité de séduire (JC Lattès, 2016), nous éclaire aujourd’hui de son expérience riche et aiguisée sur les capacités de développement ainsi que les challenges que doit désormais relever l’hôtellerie haut de gamme en France.

Alice et Jérôme Tourbier

Vendom.jobs - Après le premier état des lieux que vous avez réalisé dans votre ouvrage, quel est, à ce jour, votre diagnostique sur l’état actuel du secteur et, plus particulièrement, en ce qui concerne l’hôtellerie de luxe ?

Jérôme Tourbier - Dans cet ouvrage, j’en appelais à : considérer le tourisme en France comme une industrie stratégique et miser sur un tourisme de création de valeur. J’entends, par-là, que nous devons devenir une destination haut de gamme, c’est-à-dire au bon rapport « émotion-prix ». En effet, la France propose des tarifs élevés, nous devons donc avoir une offre qualitative qui marque émotionnellement nos clients. Quand je dis haut de gamme, cela ne signifie pas que tout est une affaire de luxe mais nous devons teinter notre approche d’un caractère émotionnel qui parle au voyageur indépendant. Je ne parle pas des touristes qui voyagent en masse car la France ne possède pas les infrastructures nécessaires pour les accueillir mais aussi car, culturellement, je pense que les Français n’apprécieraient pas des centres-villes envahis par des cars de touristes…

Les Sources de Caudalie, piscine intérieure

Aujourd’hui, j’estime qu’au niveau du traitement médiatique et politique les choses n’ont pas beaucoup évolué. Nous continuons à fixer des objectifs et parler de notre position de première destination touristique mondiale en nombre d’arrivées, nous adoptons donc une approche quantitative. En revanche, sur le terrain, les élus locaux et les collectivités locales sont convaincus de l’intérêt stratégique du tourisme et notamment en matière d’aménagement du territoire, de créations d’emploi. Il représente une chaîne de valeurs positives pour les territoires, en particulier pour les producteurs locaux. Il existe désormais en France un grand nombre de projets de qualité. Les investisseurs institutionnels de grande taille s’intéressent à cette industrie et plus seulement d’un point de vue immobilier.  Le point positif est que nous avons pris conscience de la richesse de notre territoire et que nous devons le valoriser.

V. J. - Quelles seraient, pour vous, les conditions sine qua non à l’épanouissement d’un tourisme de qualité et rentable ?

J. T. - En France, la notion de « haut de gamme » est trop souvent uniquement assimilée à une clientèle aisée. Oui, nous désirons faire venir en France des gens aisés mais cela peut aussi signifier des gens curieux de notre patrimoine. C’est également le meilleur moyen de préserver notre équilibre et nos savoir-faire. Il est tout à fait possible de créer des lieux haut de gamme qui restent connectés à leur territoire et, encore une fois, haut de gamme ne signifie pas nécessairement luxe. Nous avons partout sur notre territoire des établissements de grande qualité, de restauration notamment, dont les chefs sont engagés, preuve en est les recommandations du Bib Gourmand de Michelin par exemple. Nulle par ailleurs dans le monde existe cette densité de qualité, en particulier gastronomique.  

V. J. - L’âme des Sources de Caudalie est, en effet, éminemment intégrée à un patrimoine, à un terroir, authentique et responsable, ce qui en a aussi fait une destination atypique dès son ouverture. Avez-vous senti très tôt que c’était une voie pour le tourisme français ? En percevez-vous d’autres à plus ou moins court terme ?

J. T. - Lorsque Les Sources de Caudalie sont devenues premier palace des vignes, ce qui a été retenu comme caractère exceptionnel est le fait de s’inscrire totalement dans son terroir. Notre inspiration est venue directement des vignes qui nous entourent.  Nous avons pu mesurer depuis 20 ans qu’il existait un luxe authentique bien différent de celui des grandes villes et que nous pouvions aller très loin dans sa recherche et notamment d’un point de vue émotionnel grâce à la beauté de tout ce qui nous entoure. Nous proposons ainsi une démarche cohérente entre ce cadre et les activités que nous pouvons partager avec des hôtes qui ne viennent plus simplement pour être hébergés désormais. Cela nous a renforcés dans l’idée que rien n’était à réinventer totalement, que nous avions tout. Et, plus particulièrement, nous nous sommes rendu compte que l’œnotourisme était une niche qui devait être développée en France. Nous agissons également comme une vitrine pour nos vignerons, nos producteurs locaux. Nous sommes, en quelque sorte, des passeurs qui mettent en valeur leur travail.

Les Sources de Caudalie, "La Tour de la Dégustation"

V. J. - Quelles seraient, d’après votre expérience, les prochaines étapes à développer ?

J. T. - Comme je l’ai dit au départ, le luxe devient émotionnel et je me réjouis que l’on travaille sur nos forces. À mon sens, en ce qui concerne la province – je fais une distinction entre le tourisme à Paris et en province – nous devons insister sur cette authenticité sans pour autant tomber dans le pastiche. La clientèle aisée apprécie particulièrement l’unicité de chaque destination. Notre travail réside dans le fait de travailler sur nos capacités, notre exceptionnalité, tout en prenant en compte la nouvelle clientèle qui arrive. Nous pouvons trouver des équilibres qui n’existent nulle part ailleurs grâce à la combinaison des activités culturelles, de la gastronomie, de la qualité des produits, etc.

Un autre paramètre est la question du développement du numérique. Nous parlons souvent dans nos métiers des méfaits du numérique. Or il permet de faire connaître des endroits qui étaient jusqu’alors « cachés », peu connus du public et ce, à l’international. Autrefois, la référence dans la découverte des étapes était la nationale 7. Aujourd’hui, les nouvelles technologies invitent les voyageurs à découvrir d’autres territoires. Nous avons pu le mesurer dans le Bordelais qui est devenue une nouvelle destination et qui se trouve très bien notée par les voyageurs internationaux.

Les Etangs de Corot, suite " Baron Thierry"

V. J. - Quel est alors votre point de vue sur les développements numériques dans l’hôtellerie ? Je pense aux applications notamment destinées à prolonger l’expérience du séjour.

J. T. - Je les considère tout à fait positivement. Nous sommes passés depuis quelques années du « client roi » au « client moi ». Nous avions auparavant, dans nos métiers, une organisation censée plaire au plus grand nombre. De nos jours – et cela s’avère être aussi un enjeu - les voyageurs montrent des attentes très différentes et parfois même opposées. Désormais l’organisation doit tourner autour du client. Ce qui a amené notre profession à apprendre à connaître un maximum nos clients et si possible même en amont de leur séjour. Aux Sources de Caudalie nous avons la chance de devoir respecter un équilibre entre connexion à notre territoire et respect de la demande du client. La seule solution pour mener à bien cette mission est d’avoir le maximum d’informations sur eux afin de personnaliser leur prise en charge. Il faut donc faire preuve de beaucoup d’initiative. Pour cela, nos équipes aussi doivent être libres d’engager ces initiatives. Il s’agit d’une évolution majeure pour nos métiers qui s’appuient désormais sur le talent de chaque collaborateur.

V. J. – Justement, notre lectorat est aussi composé de jeunes professionnels. En tant qu’entrepreneur, quelles sont vos attentes vis-à-vis de vos futurs collaborateurs ?

J. T. - Pour devenir « Sourcier » - c’est ainsi que nous appelons nos collaborateurs - il faut avoir envie de faire plaisir. Nous sommes très attentifs au savoir-être. Nous avons créé la Sources Academy au sein de nos établissements pour pouvoir former techniquement ou améliorer la formation des jeunes gens arrivant. Notre secteur offre énormément de possibilité de carrière - prêt de 100 000 postes sont à pourvoir - et il a réussi, au fil des ans, à se rendre plus attractif. Il est nécessaire que nos établissements de luxe ne paraissent pas inaccessibles aux jeunes diplômés. Ensuite, les codes du service haut de gamme s’apprennent. Pour résumer, ce qui nous intéresse en premier lieu est la dimension humaine, la dimension technique vient ensuite et c’est celle que nous dispensons au sein de nos académies. Certaines personnes possèdent déjà les deux, mais nous ne voulons pas que celles qui présentent les qualités humaines requises s’interdisent d’accéder à nos métiers alors qu’ils sont porteurs d’émancipation. Pour des générations en quête de sens travailler pour des humains, dans un cadre humain est, selon moi, un formidable projet de carrière. En tant que professionnel, c’est notre responsabilité de promouvoir ces métiers.

L'Etoile de Corot*

V. J. – Votre position au sein de Small Luxury Hotels of the World, vous a-t-elle permis d’affiner l’analyse que vous aviez engagée dans votre ouvrage ?

J. T. - Je suis président de SLH depuis 2016 et administrateur depuis 2010. Mon premier constat a été qu’il existe effectivement des projets hôteliers haut de gamme partout dans le monde. Le dynamisme de cette industrie m’a renforcé dans l’idée qu’il s’agissait d’un secteur stratégique. Il y a aujourd’hui des pays en voie de développement s’imposant comme des challengers grâce à leur volonté de développer le tourisme. Il est alors difficile pour nous d’être compétitifs face à ces nouvelles destinations, comme l’Asie, où l’ampleur des investissements, la qualité des services sont de vraies menaces pour nos établissements français. L’autre point que cela m’a permis de confirmer est que nous avons en France des atouts prodigieux mais que nous ne pouvons plus nous reposer sur nos lauriers en estimant que les touristes sont notre richesse car, à qualité de service égale, d’autres pays offrent des destinations beaucoup plus abordables. Le rapport « émotion-prix » est devenu mondial.

Ce que m’a enseigné SLH est que les touristes étrangers aisés mettent en concurrence des destinations très variées. J’ai écrit mon ouvrage car, lors de voyages commerciaux, j’allais vendre la destination France et je me suis trouvé confronté à des agences de tourisme qui ne dirigeaient plus leurs clients vers la France mais Dubaï. Dans l’esprit d’un français, les deux destinations n’ont rien à voir mais pour des raisons diverses, en particulier en matière de sécurité et de propreté, les touristes étrangers ne vont plus acheter leurs marques de luxe à Paris. Il est donc toujours bon de se remettre en question. D’ailleurs l’offre à Paris a beaucoup évolué en 20 ans, notamment grâce à un triplement du nombre de chambres haut de gamme.

V. J. – Pourriez-vous nous parler des prochains axes de développement de votre groupe ?

J. T. - En tant que spécialistes de l’œnotourisme, nous souhaitons nous développer dans les régions viticoles en commençant l’an prochain avec une ouverture dans le Val-de-Loire, avant d’envisager l’Alsace, la Bourgogne, la Champagne et la Provence. Nous construisons actuellement Les Sources de Cheverny, sur la commune du même nom, afin de faire découvrir au public des vins de grandes qualités, qui vont d’ailleurs continuer à s’améliorer pour des raisons climatiques, tout en nous appuyant naturellement sur le patrimoine culturel de la région avec les châteaux de la Loire. Ceux-ci ont la particularité de posséder une qualité de l’accueil adaptée à différents types de clientèle. Nous sommes en train de réhabiliter un château, un ancien chai puis de construire des loges dans les vignes afin de répondre à tous les types de demande et d’ambiance de séjour : « vie de château », plus simple ou plus moderne, pour des voyageurs individuels ou en famille, entre amis. Nous nous inscrivons avec ce projet dans une parfaite symbiose entre réhabilitation d’un patrimoine et aménagements répondant totalement à nos besoins de confort contemporains, tout en respectant l’esprit des lieux et des matériaux.

Les Sources de Caudalie, suite "Rouge Merlot"

V. J. – Une destination qui vous est personnelle et qui incarne justement pour vous l’idéal que vous souhaitez proposer dans vos adresses ?

J. T. - Ma femme étant d’origine savoyarde, nous sommes particulièrement heureux en montagne et nous sommes très attachés aux Alpes françaises. Principalement l’hiver car nous sommes passionnés de ski mais aussi en été où nous pratiquons la randonnée. C’est un environnement qui nous ressource.

 

(Crédit photo : Les Sources de Caudalie)

NOUVEL HÔTEL MEMBRE : Les Sources de Caudalie à lire, ici.

INTERVIEW : Léna Le Goff, Directrice des Sources de Caudalie à lire, ici

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