INTERVIEW : Laurent Vanhoegaerden, directeur de l’Hôtel du Cap-Eden-Roc

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Depuis 1870 l’Hôtel du Cap-Eden-Roc, niché dans une pinède de 9 ha à la pointe du Cap d’Antibes, offre aux rêveurs et aux amoureux de la beauté le cadre le plus serein de la Riviera. L’atmosphère y est remplie du glamour des stars hollywoodiennes, mais, ce que l’on retiendra de cette légende azuréenne, c’est son authenticité, son âme forgée au fil de l’histoire et des rencontres qu’elle a abritées*.

C’est dans ce joyau, bercé par la douceur de la végétation méditerranéenne, que Laurent Vanhoegaerden oeuvre depuis une quinzaine d’années. Après une carrière édifiée dans les plus beaux hôtels de luxe parisiens, un passage en Amérique du Nord, il rejoint l’exceptionnelle Oetker Collection. A l’occasion de la réouverture de l’hôtel, qui eut lieu le 4 juin dernier, mais aussi de ses 150 ans d’existence, il revient pour Vendôm sur sa vision du management et l’atmosphère unique régnant au sein des adresses de la collection, mais aussi sur la création d’un mythe : celui de l’Hôtel du Cap-Eden-Roc.

Vendom.jobs - L’hôtellerie de luxe a-t-elle été très tôt un rêve de carrière pour vous ? Quels chemins vous ont mené à prendre la tête de si belles adresses ?

Laurent Vanhoegaerden – Le déroulement de ma carrière s’est fait tout naturellement, au fil des rencontres et des personnalités inspirantes, des opportunités qu’elles m’ont offertes. Lorsque j’avais 15 ans, j’ai effectué un job d’été au sein du groupe Accor, dans un Novotel de la région parisienne. L’orientation vers une école hôtelière, que j’ai suivie au Touquet, s’est imposée à moi.

Ensuite, j’ai eu la chance d’effectuer mon premier stage à Cannes, au sein du groupe Barrière. Je fus directement, donc plongé dans l’univers de l’hôtellerie haut de gamme. Je m’y suis senti tellement bien qu’à la fin de mon cursus, ils m’ont proposé un CDI, je n’avais que 18 ans ! Alors que Richard Duvauchelle en était le directeur général, il décide de partir pour faire l’ouverture du Nova-Park à Paris, dans le 8e arrondissement. En 1981, il s’agissait d’un projet très avant-gardiste ; l’hôtel possédant une salle de gym, une piscine, de nombreux équipements inédits pour un hôtel parisien, deux boîtes de nuit, trois restaurants, et même des suites avec piscine privée ! J’ai suivi Richard Duvauchelle et, en seulement cinq années, je suis passé de commis à chef de rang, puis maître d’hôtel.

Je suis alors entré à l’Hôtel du Louvre où l’on recherchait un responsable restauration et bar. Christian Falcucci, directeur général de l’Hôtel Balzac m’a ensuite engagé comme directeur du restaurant gastronomique, puis m’a promu directeur F&B de l’hôtel ainsi que de l’Hôtel de Vigny, nouvellement ouvert. Lorsque j’étais installé au Canada, on m’a proposé le poste de directeur de restaurant du Crillon, je n’ai pas hésité pour rentrer en France. J’y suis resté 12 ans pour devenir, progressivement, directeur de la restauration et, enfin, directeur d’exploitation.  C’est là que j’ai rencontré Philippe Perd. Lorsqu’en 2005, il reprend l’Hôtel du Cap-Eden-Roc, je l’ai suivi, au départ, pour un poste de directeur F&B. Et j’y suis depuis 15 ans. Mon parcours s’est donc vraiment construit au fil de mes rencontres avec des directeurs généreux et visionnaires.

V.J. - Au fil d’un si beau parcours, avez-vous développé une « philosophie » de management ?

L. V - J’ai très vite compris que si l’on a des responsabilités, on doit être en permanence sur le terrain, au plus près des équipes. Comme a coutume de le dire Philippe Leboeuf : « managing by walking around » est primordial. J’ai toujours agi ainsi, et cela m’a réussi. Ensuite, certaines choses se sont forgées petit à petit. Je n’aime pas briller au détriment des autres. Un manager se doit d’écouter ses collaborateurs et de mettre en avant leurs idées, non de se les approprier. Se mettre en avant pour écraser ses collaborateurs ne correspond pas du tout à ma personnalité. D’ailleurs, je ne pense pas que l’on puisse effectuer un management efficace si l’on ne peut satisfaire à ces exigences d’écoute et de flexibilité. Le plus important est de partager les mêmes valeurs.

V. J. - Quelles ont été les premières mesures que vous avez prise, en tant que directeur, vis-à-vis de vos collaborateurs pendant les confinements ?

L. V. – Nous avons décidé très tôt de rester en contact, notamment en maintenant les  réunions des chefs de département avec leurs équipes, via Teams, car nous nous sommes rendu compte que nous devions répondre aux nombreuses questions de nos collaborateurs et les tranquilliser. Les ressources humaines ont établi un rendez-vous, sans obligation, deux fois par mois avec les équipes. Dans un premier temps, nous leur demandions de poser l’ensemble de leurs questions, ensuite nous engagions une discussion libre. C’est en maintenant cette cohésion, en échangeant des idées que nous avons pleinement réussi notre réouverture.

V.J. – En avez-vous profité pour établir des nouveautés dans votre système de fonctionnement entre collaborateurs ?

L. V. -  En effet, nous avons pu prendre le temps de réfléchir aux dossiers de succession plans notamment, afin de bien identifier le parcours des employés. Notre directrice régionale des ressources humaines, Clémentine Lacombe-Menassol, nous a engagés à le faire pour l’ensemble des postes clefs avec l’ensemble des hôtels de la collection. De plus, nous pensons que ce type d’initiative est important pour attirer les nouveaux talents. Les juniors ont besoin d’avoir une visibilité, savoir ce que l’on peut concrètement leur proposer.

Nous avons également toujours un programme auquel nous tenons beaucoup et que nous avons mis en place voici quatre ans : « Vis ma vie ». Nous proposons aux collaborateurs qui le souhaitent d’échanger sa fonction pendant 48 h avec un collègue. Dans un environnement de près de 500 employés, c’est une idée qui est appréciée pour se rencontrer, optimiser la cohésion des différents services, mais aussi leur communication.

V. J. – Revenons justement sur la question de l’attraction des talents. Comment faire pour que des métiers aussi exigeants que ceux de l’hôtellerie et la restauration de luxe continuent à attirer les jeunes générations ?

L. V. – Il est important de leur présenter du concret ; d’être honnête et de leur proposer des plans de carrière solides afin qu’ils puissent se projeter. Mais je pense que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir et que les hôteliers doivent repenser leurs méthodes.

Il y a 20 ou 30 ans, des managers, très directifs, pouvaient encore se permettre de demander de travailler sans relâche, n’importe quand. Avec l’arrivée des 35 h, les choses ont évolué. Beaucoup de managers pensent, encore hélas, que l’on peut demander autant de sacrifices à nos jeunes collaborateurs. Personnellement, je ne crois pas que si nous renvoyons l’image de métiers durs et mal payés, nous réussirons à attirer des gens motivés et passionnés. Nos collaborateurs doivent pouvoir connaître un équilibre sain entre vie privée et vie professionnelle et nous devons pouvoir l’assurer.

V.J. – Concernant le retour de votre clientèle, avec la possibilité de louer vos superbes villas privées, quels autres aménagements avez-vous imaginés pour sécuriser vos clients ?

L. V. – Tout d’abord, d’un point de vue humain, nous avons demandé à nos employés de veiller à être le plus bienveillant possible à leur retour. La coupure a été longue, et nous recevrons beaucoup de nos fidèles clients, notamment américains, qui sont à la recherche de sécurité sanitaire, certes, mais surtout globale.  

Bien sûr, ce sont des modes de fonctionnement que nous suivions déjà avant la crise Covid, mais nous savons que nos clients auront besoin d’encore plus d’attention.  Par exemple, nous avons un service à l’aéroport qui nous permet d’aller chercher nos hôtes à la porte de l’avion. Ils sont donc pris en charge par l’hôtel dès qu’ils atterrissent.

Ensuite, nous avons demandé à nos chefs de service d’imaginer ce qu’ils seraient heureux de recevoir et vivre à leur retour.  Nous avons la chance de posséder un parc de 9 ha. Nos hôtes peuvent profiter de la plage et de nos espaces sans trop avoir à sortir. Toutefois, les concierges qui les connaissent bien peuvent leur suggérer des activités à l’extérieur en fonction de leurs goûts : galeries, expositions, etc.  Nous mettons un point d’honneur à sensibiliser l’ensemble des équipes à interagir avec les clients. Le responsable de la piscine, pour prendre un exemple, doit être en mesure d’échanger avec un client. C’est la signature des adresses de luxe, nous devons détecter les attentes de nos clients et anticiper leurs attentes. Or, cela ne passe que par l’échange d’individu à individu. Je rencontre tous nos clients personnellement et je prends du temps pour discuter de leur séjour avec eux.

V. J. - Pourriez-vous nous parler des belles surprises que l’Hôtel du Cap-Eden-Roc a imaginé pour sa réouverture ?

L. V. – Nous sommes très heureux de l’acquisition de notre nouvelle villa, la villa Saint-Anne, située à la pointe du Cap d’Antibes et qui offre un panorama somptueux sur la baie de Juan-les-Pins. Elle est composée de cinq chambres, avec spa, hammam, piscine, salle de gym... Elle a été construite dans un style Renaissance italienne et possède une atmosphère très romantique, avec son jardin à l’italienne et ses arbres fruitiers que nous avons plantés.

Plus prosaïquement, nous avons lancé l’immense chantier de réfection de la toiture, intouchée depuis 100 ans ! Nous avons également repensé notre fameuse grande allée qui va de l’hôtel à l’Eden Roc. Enfin, nous avons le plaisir d’accueillir dans notre jardin, et pour toute la saison, huit sculptures de l’artiste multi talents Manolo Valdés.

V.J. - Si vous aviez quelques mots pour résumer l’âme de cette adresse mythique, son histoire, quels seraient-ils ?

L. V. – Je pense que l’on ne peut parler de l’Hôtel du Cap-Eden-Roc sans évoquer son ambiance familiale qu’il possédait déjà il y a 100 ans. Lorsque l’on feuillette le livre paru aux éditions Flammarion*, nous retrouvons sur les photos anciennes les mêmes scènes de vie de famille autour de la piscine. Certaines viennent chez nous depuis 40-50 ans ! L’hôtel fait partie de leur histoire personnelle, ils le considèrent comme leur résidence secondaire. Bien entendu, à l’époque de la Villa Soleil, il fut aussi un lieu d’inspiration pour les artistes internationaux.

Il est assez rare de dire, pour un hôtel de luxe, que l’atmosphère si unique de l’endroit a aussi été construite grâce aux familles qui y viennent, s’y rencontrent, s’y retrouvent, année après année.  L’esprit de l’Hôtel du Cap-Eden-Roc s’est donc forgé au fil de ces histoires personnelles, mais aussi de l’Histoire, car il fut, bien sûr, réquisitionner pendant les guerres. C’est un monument, un point de repère également pour les locaux qui ont pu y venir, y travailler…

D’ailleurs, nous avons décidé, il y a quelques années, d’offrir un cadeau très particulier, plus intime et symbolique, à nos clients qui viennent depuis plus de 30 ans. Nous plantons à leur attention un arbre dans notre jardin avec leurs initiales.

Je pense que notre secret est que nous avons réussi à maintenir l’aura de ces 150 ans d’histoire, ce patrimoine fort, son âme, sans jamais les dévoyer, tout en ne cessant de les réinventer au fil des époques. 

* Hôtel du Cap-Eden-Roc : La légende éternelle de la Riviera, Alexandra Campbell, 2021 : Flammarion.

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